Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’elles opposent à l’orgueil de l’homme, à sa prétention de faire l’ange. Il y a là une source intarissable de gaieté grossière. Il est seulement singulier qu’un artiste aussi recherché s’y complaise à ce point.

Mais, M. Armand Silvestre ne serait-il pas un faux décadent ? Je le soupçonne maintenant d’être un primitif. Nous avons remarqué que le spectacle des phénomènes naturels lui suggérait les mêmes images amples et vagues qu’aux poètes d’il y a trois mille ans : et voilà maintenant que ses facéties sont aussi celles des primitifs et qu’il se délecte comme eux — et comme les enfants — au comique incongru des basses fonctions corporelles. Vous vous rappelez ce que dit le dieu Crépitus dans la Tentation de saint Antoine :

Quand le vinaigre militaire coulait sur les barbes non rasées, qu’on se régalait de glands, de pois et d’oignons crus et que le bouc en morceaux cuisait dans le beurre rance des pasteurs, sans souci du voisin, personne alors ne se gênait. Les nourritures solides faisaient les digestions retentissantes. Au soleil de la campagne les hommes se soulageaient avec lenteur… J’étais joyeux. Je faisais rire ! Et, se dilatant d’aise à cause de moi, le convive exhalait toute sa gaieté par les ouvertures de son corps… Mais à présent je suis confiné dans la populace, et l’on se récrie, même à mon nom…

M. Armand Silvestre a copieusement vengé le pauvre dieu Crépitus, et je ne m’en étonne plus : il est assez naturel qu’ayant, dans sa poésie savante,