Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/100

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vie totale, et, comme saint Antoine à la fin de sa tentation, embrasser le monde…

Vous pouvez, si cela vous plaît, juger excessive l’impression que laissent en moi ces romans. J’avoue moi-même que ma conscience de critique en est tout inquiétée. Les plus grands chefs-d’œuvre de la littérature ne m’ont jamais troublé ainsi. Qu’y a-t-il donc dans ces histoires de Loti ? Car elles sont d’ailleurs composées avec une extrême nonchalance, écrites avec un vocabulaire restreint, en petites phrases d’une construction tout unie. Vous n’y trouverez ni drames singuliers ou puissants, ni subtiles analyses de caractères, puisque tout s’y réduit à des amours suivies de séparations et que les personnages y ont des âmes fort simples. Beaucoup de livres, anciens ou récents, supposent un tout autre effort de pensée, d’invention et d’exécution. Mais avec cela les romans de Loti m’envahissent et m’oppriment plus qu’un drame de Shakespeare, plus qu’une tragédie de Racine, plus qu’un roman de Balzac… Et c’est pour cela que je suis inquiet. Ont-ils donc un sortilège en eux, un maléfice, un charme qui ne s’explique point, ou qui s’explique par autre chose encore que par des mérites littéraires ?

Voici : ces romans ébranlent l’âme à la fois dans ce qu’elle a de plus raffiné et dans ce qu’elle a de plus élémentaire. Ils frappent, si je puis dire, les deux touches extrêmes du clavier sentimental. Car d’un côté vous avez eu sous les yeux les objets les plus singuliers, vous en avez reçu les impressions les plus neu-