Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/127

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franchises, ne nous cache point l’envie que lui inspire la destinée des hommes du monde. Au fond, le rêve endormi dans quelque repli secret du cœur, chez moi-même et chez beaucoup d’autres, notre rêve inavoué, désavoué même souvent par nos habitudes et notre allure, c’est le rêve de don Juan. Or ce rêve est réalisé, du moins en partie, par les héros des romans mondains. Et nous disons qu’ils nous agacent, et nous affectons de les dédaigner : la vérité est que leur sort nous remplit d’envie et de tristesse. Il n’y a qu’une réflexion qui nous apaise : c’est que tout est vanité. Généralement, quand on dit cela, on le dit avec mélancolie ; cela ne passe point pour une constatation des plus gaies : c’est bien à tort. Il est fort heureux que tout soit vanité ; c’est la grande consolation. Car, si tout n’était pas vanité, si toute vie n’était attendue par la mort, il serait horrible de songer que nous ne connaissons qu’une vie médiocre, que nous n’avons pas de génie, que nous ne faisons rien de grand, que nous ignorons même à peu près la vie sensuelle et passionnelle et les « mille et trois » de don Juan, et que nous ne sommes pas « comme des dieux », ainsi que parlent les livres saints. Mais, encore que l’idée de la vanité universelle soit un grand soulagement, nous préférons quand même aux romans de la vie élégante les romans de la vie plate, misérable et grossière — parce qu’ils nous emplissent d’une infinie pitié.

Le peuple, lui, adore les romans qui se passent