Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/140

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ment. Ce n’est point l’expression de sa vie, c’est sa vie même qui est pour lui l’œuvre d’art. Il fait des expériences pour en faire, non pour les écrire. Sa philosophie est plus parfaite que celle de l’artiste qui écrit — et qui trahit par là quelque ingénuité, car il se figure apparemment qu’il vaut la peine d’écrire et que la gloire littéraire est quelque chose. Le dilettante qui n’écrit point, qui ne rêve ni n’expérimente que pour lui-même, me semble avoir à la fois plus de fierté et plus de vraie finesse d’esprit. La plus belle vie, la plus intelligente et la plus spirituelle, ce n’est peut-être pas celle des écrivains, même de ceux qui ont laissé de beaux livres : c’est celle des grands curieux qui ont vécu leur vie sans l’exprimer, et dont personne aujourd’hui ne sait les noms.

Le duc de Trièves, qui n’est pas auteur, a plus de plaisir et déploie autant de ressources d’esprit avec Mlle de Saint-Alais que Maxime avec Germaine. Il faut voir avec quel art il conduit la séduction d’Edmée. Tout se fait en quatre ou cinq conversations, mais combien subtiles et artificieuses ! La première fois, il fait sa déclaration et ajoute qu’il ne peut se marier parce qu’il est à peu près ruiné ; la seconde fois, il inquiète Edmée en lui montrant l’hypocrisie et le néant de la morale mondaine ; la troisième fois, il lui fait entendre qu’ils pourraient se marier chacun de son côté, et lui fait presque accepter l’adultère dans l’avenir ; la quatrième fois, comme elle se révolte, il la prend dans ses bras, connaissant la puis-