Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/17

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duels et précis que recherche une autre poésie et que fournit seule l’observation de la réalité. Bref, le romanesque est surtout un rêve moral.

Par suite, l’esprit romanesque, considéré non plus chez l’écrivain, mais chez les lecteurs et chez le commun des hommes, est une tendance à accepter comme vraies ces imaginations d’un monde meilleur et plus beau. C’est alors le don de ne point voir les choses comme elles sont, tristes, décevantes, brutales et immorales, et d’attendre toujours de la vie plus qu’elle ne peut apporter. Faculté bienfaisante ou funeste, selon les cas, mais plutôt bienfaisante si elle est portée à un tel degré que nulle expérience ne la décourage — ou si elle est tempérée par assez de bon sens et par assez de nécessités matérielles pour qu’on ne lui lâche la bride qu’à bon escient et en manière de divertissement passager.

Si mal que j’aie su distinguer la poésie et le romanesque, on a pu voir que le romanesque doit être principalement la poésie des créatures sentimentales, de celles qui connaissent peu la vie, qui n’éprouvent pas un grand besoin de vérité et pour qui l’art ne consiste pas avant tout dans l’expression : c’est-à-dire la poésie des enfants, des vierges et des jeunes femmes. Et c’est pourquoi le romanesque ne repoussera point, dans sa forme, un idéal de beauté un peu fade et d’élégance un peu convenue ; il aimera les cavaliers bruns, les amazones blondes, les ruines, les clairs de lune. — Pour la même raison l’amour lui paraîtra le