Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/170

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C’est le fantôme évoqué par Victor Hugo dans ce vague et magnifique poème, Magnitudo parvi :

  Dieu cache un homme sous les chênes
  Et le sacre en d’austères lieux
  Avec le silence des plaines,
  L’ombre des monts, l’azur des cieux…

  Le pâtre songe, solitaire,
  Pauvre et nu, mangeant son pain bis ;
  Il ne connaît rien de la terre
  Que ce que broute la brebis.

  Pourtant il sait que l’homme souffre ;
  Mais il sonde l’éther profond…

  La Judée avait le prophète,
  La Chaldée avait le berger…

  La foule raillait leur démence,
  Et l’homme dut, aux jours passés,
  À ces ignorants la science,
  La sagesse à ces insensés…

Ce roman du Berger est, à mon avis, le chef-d’œuvre de M. de Glouvet. Un souffle le traverse ; il a la grandeur, une poésie abondante et naturelle ; c’est une idylle tragique qui a quelque chose de fruste, de primitif et de mystérieux. Les personnages sont tout près de la terre, et de là leur beauté. On dirait qu’ils sont à peine sortis de la matrice universelle, à peine dégagés de la boue féconde des antiques déluges, et que leurs yeux viennent à peine de s’ouvrir sur le monde, tant ils y sentent d’inconnu et tant leurs idées sont simples et leurs sentiments abrupts.

Surtout la haute stature du berger domine le livre.