Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/188

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éprouve le vague effroi de tout ce qui grouille, bruit, glisse ou chuchote dans les demi-ténèbres :

  La nuit tend sur le ciel brouillé
  Ses ailes d’argent ponctuées ;
  La lune, comme un soc rouillé,
  Laboure le champ des nuées.
 . . . . . . . . . . . . . . . .

  L’œil, aussi loin qu’il peut plonger
  Dans la perspective indécise,
  De chaque objet voit émerger
  La Peur debout, couchée, assise.
 . . . . . . . . . . . . . . . .
  L’élytre, invisible grelot,

  Sonne l’essor du scarabée ;
  Sous les mousses le surmulot
  Grignote une noix dérobée.

  De tous côtés partent des sons,
  Notes grêles, sourdine éteinte ;
  On chuchote dans les buissons,
  La flaque gémit, l’herbe tinte.
 . . . . . . . . . . . . . . . .

  Des formes vagues d’oiseaux lourds
  Dans l’air entre-croisent leur voie…

L’homme se croit poursuivi par un être mystérieux qui le talonne. Il fuit, il arrive chez sa maîtresse. Ô chute ! l’eau-forte aboutit à la vignette, les beaux vers pittoresques aux petits vers. « Nigaud, lui dit son amoureuse, c’est ton ombre dont tu avais peur. L’ombre qui te suit, c’est un veuf en peine. Dieu fit les ombres pour aller par paires. Marions-nous, et nos deux ombres se consoleront, et, dans neuf mois, de nos deux ombres il en sortira une troisième, et ainsi