Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme une terreur secrète, en indiquant au public les résultats pratiques qu’on peut tirer de ses recherches, de leur enlever quelque chose de ce que j’appellerai leur pureté.

Qu’est-ce que cet amour de la vérité, poursuivie en dehors de tout intérêt matériel ou moral, à plus forte raison en dehors de toutes les théologies et dans l’oubli de toutes les explications qu’on a pu tenter de l’univers et de sa destinée, — qu’est-ce que cet amour, sinon une religion encore ? Sans doute le seul plaisir de l’enquête expliquerait en grande partie le courage de l’érudit ; mais il y a, je crois, autre chose. Cette recherche désintéressée, pour être soutenue avec l’espèce d’héroïsme qu’y apportent certains esprits, suppose, ou la foi en cette idée que la vérité est bonne, quelle qu’elle puisse être, ou la résignation à la vérité même triste, même décevante, même inintelligible. Or ces deux sentiments, confiance ou soumission à l’ordre éternel des choses, ont assurément un caractère religieux. Tout érudit a nécessairement au fond du cœur, qu’il le sache ou non, la profession de foi de Sully-Prudhomme :

  La Nature nous dit : Je suis la Raison même,
  Et je ferme l’oreille aux souhaits insensés[1], etc.

L’univers n’a peut-être aucun but ; mais, s’il en a un, on peut croire que c’est d’être connu de l’homme, de

  1. Les Destins.