Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/312

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fort pour un de ses prophètes. C’est bien fait, après tout, et cette stupidité excuse presque les artistes en démagogie. Et puis, qui sait si le prolétariat n’est pas fier d’avoir un chef qui est marquis, qui possède des objets d’art et qui s’amuse ? Ainsi les serfs, comme dit quelque part M. Renan, jouissaient de la puissance et de la richesse de leur seigneur et étaient heureux en lui. Rien ne change, même quand tout paraît le plus changé. Pourtant on m’assure que les électeurs même de Paris commencent à s’aviser de la contradiction qui m’occupe. Naturellement ils en sont plus choqués que moi, qui ne la considère que comme un problème moral fort intéressant. M. Rochefort disait un jour : « Je ferai descendre des faubourgs, quand je voudrai, deux cent mille hommes. » Ce n’est peut-être pas lui qui les ferait descendre aujourd’hui.


IV

Voilà donc une vie et un rôle, des opinions et un esprit passablement contradictoires. Cette contradiction, comment la résoudre ? La question de la sincérité de M. Rochefort se pose forcément, on ne saurait l’éviter. La réponse qui s’offre tout d’abord, c’est que peut-être il joue la comédie, par intérêt et par plaisir. Mais je ne m’y arrêterai pas, pour deux raisons. Premièrement, je n’ose pas pousser l’indiscrétion jusque-là. M. Rochefort n’est pas de mine à se laisser demander trop directement des comptes. Il a gardé,