Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/360

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chrétienne ni la naïve croyance au progrès, peut être dit pessimiste. Le seul fait de ne rien comprendre au monde et de n’y voir aucune explication est, quand on y songe, suffisamment douloureux. Cela n’empêche pas de vivre comme les autres, de jouir, à l’occasion, du ciel, de l’air pur ou même de la société des hommes et des femmes ; mais, dans les minutes où l’on pense, il n’est guère possible, en dehors d’une foi positive, d’être optimiste : il y a trop de souffrances inutiles et absurdes et, de tous les côtés, une trop épaisse muraille de nuit… M. Bourget s’en défend en vain. Son style même a comme un timbre auquel on ne se trompe pas : il rend un son plaintif, gémissant, éploré…

Sans doute l’absence de croyance positive et l’esprit d’analyse peuvent, chez quelques-uns, se tourner en nonchalance (voyez Montaigne), mais non pas chez ceux dont la sensibilité au bien et au mal moral est exceptionnellement développée. Or M. Paul Bourget a bien une de ces consciences-là. Et c’est là, je crois, sa dernière marque, et la plus intime. Il définit quelque part avec beaucoup de force et distingue le moraliste et le psychologue.

Le moraliste, dit-il, est très voisin du psychologue par l’objet de son étude, car l’un et l’autre est curieux d’atteindre les arrière-fonds de l’âme et veut connaître les mobiles des actions des hommes. Mais au psychologue cette curiosité suffit. Cette connaissance a sa fin en elle-même… Il voit la naissance des idées, leur développe-