Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/365

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libertin, c’est qu’il s’est habitué, lui, à séparer les choses du plaisir des choses du coeur et à goûter le plaisir dans des conditions avilissantes ; au lieu que la femme romanesque, et qui aime, n’ayant connu le plaisir qu’associé à la plus noble exaltation, reporte sur ses jouissances le culte qu’elle a pour ses émotions morales. Hélène abordait avec une piété amoureuse, presque avec une idolâtrie mystique, le monde des caresses folles et des embrassements…

Il y a cent pages de cette valeur dans les trois romans assez courts et dans les Nouvelles de M. Paul Bourget. C’est de quoi fonder solidement une gloire.

Le danger, c’est que l’écrivain doué d’un pareil instrument d’analyse ne soit tenté d’en user avec un peu d’indiscrétion et ne décompose parfois, avec un soin et un luxe d’anatomie un peu excessifs, des états d’âme assez simples et assez connus. L’appareil extérieur de la recherche psychologique n’est peut-être pas toujours, chez l’auteur de Cruelle énigme, en proportion avec son objet. Il n’a pas l’analyse modeste. Il ressemble çà et là à un chirurgien virtuose qui étalerait et mettrait en œuvre toute une trousse, tout un jeu de bistouris, de scies, de ciseaux et de pinces, pour ouvrir un abcès à la joue. Par exemple, le remords de la jeune fille dans l’Irréparable, la jalousie d’Hubert dans Cruelle énigme, me semblent un peu bien longuement analysés, et sans que l’étalage de ces investigations soit justifié par aucune trouvaille d’importance. Cela tourne, par moments, à l’exercice et au « morceau ». M. Paul Bourget appelle lui-même