Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/38

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agir. Il est bien surprenant, cet homme si fort qui sans doute, dans la pensée de M. Feuillet, devait résumer en lui César, Alcibiade et le duc de Morny. Par deux fois il est amoureux, je dis follement amoureux, et ce n’est guère le fait d’un homme qui vit les yeux fixés sur le féroce testament de son père et que l’exercice de l’esprit critique, le détachement supérieur et le scepticisme transcendantal auraient dû empêcher d’aimer de cette façon et à ce degré. Avec toutes ses affectations d’immoralité, il est constamment bon, tendre, généreux.

Vous vous rappelez, après la chute de la petite Mme Lescande, son étrange discours, puis le baiser qu’il met au bas de la robe de la jeune femme, et ses remords, et la scène bizarre du chiffonnier. Il a laissé rouler un louis dans la boue. « Ah ! monsieur, dit le chiffonnier, ce qui tombe au fossé devrait être au soldat. — Ramasse-le avec tes dents, et je te le donne. » Et, quand le louis est ramassé : « Eh ! l’ami, dit Camors, veux-tu gagner cinq louis maintenant ? Donne-moi un soufflet, ça te fera plaisir, et à moi aussi. » Cette scène fameuse est de celles qui inquiètent et dont on peut se demander si elles sont puériles ou sublimes ; mais l’homme capable d’un pareil mouvement a certainement en lui un sentiment moral assez fort pour ne succomber qu’à des tentations exceptionnelles, et telles qu’un saint pourrait seul en triompher. Remarquez que sa faute même ne suffit point à le flétrir à nos yeux, tant nous sentons,