Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nihiliste de Crime et Châtiment, et vous verrez ce que je veux dire. La malfaisance ne semble un droit qu’aux âmes nées méchantes et perverses. Une femme qui peut faire de sa philosophie négative l’application qu’en fait Sabine est une « bête » que nul enseignement religieux n’eût pu dompter et qui d’ailleurs n’en eût accepté aucun. M. Feuillet lui-même nous montre, par l’exemple du vertueux docteur Tallevaut, qu’une doctrine vaut exactement ce que vaut l’âme qui l’embrasse : alors pourquoi rendre la philosophie du bonhomme responsable des crimes de Sabine ? Pourquoi tourner en thèse spiritualiste un vulgaire drame à la Montépin ?

Encore, l’outrance, l’injustice et la candeur de cette thèse, je les comprendrais chez un prêtre ou chez quelque chrétien exalté ; mais, je vous prie, en faveur de quel christianisme plaide donc M. Octave Feuillet ? Est-ce la foi des premiers chrétiens ou des jansénistes qui respire dans ce livre parfumé ? J’ai peur que ce ne soit simplement celle des classes dirigeantes, le catholicisme des gens « bien élevés » et, peu s’en faut, celui de la Vie Parisienne, celui qui n’interdit ni la paresse, ni les raffinements du luxe, ni les bals, ni les gorges et les bras nus livrés aux regards des hommes. C’est une chose singulière qu’une si belle orthodoxie dans les romans qui exhalent une telle odeur de femme. M. Feuillet est chrétien, je n’en doute pas ; mais il est surtout « bien pensant », ce qui est souvent une manière de ne pas penser. Pour lui comme pour