Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/56

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fois dans leur style la vibration même de leurs nerfs trop tendus.

Un tel genre de talent ne peut s’appliquer tout entier, on le comprend, qu’à la peinture des choses vues, de la vie moderne, surtout parisienne. Cinq des romans de MM. de Goncourt, sur six, sont des romans parisiens. Leur objet, c’est « la modernité », laquelle est visible surtout à Paris. Ce néologisme s’entend aisément ; mais ce qu’il représente n’est pas très facile à déterminer, car le moderne change insensiblement, et puis ce qui est moderne est toujours superposé ou mêlé à ce qui ne l’est point ou à ce qui ne l’est déjà plus. La modernité, c’est d’abord, si l’on veut, dans l’ensemble et dans le détail de la vie extérieure, le genre de pittoresque qui est particulier à notre temps. C’est ce qui porte la date d’aujourd’hui dans nos maisons, dans nos rues, dans nos lieux de réunion. L’habit noir ou la jaquette des hommes, les chiffons des femmes, l’asphalte du boulevard, le petit journalisme, le bec de gaz et demain la lumière électrique, et une infinité d’autres choses en font partie. C’est ce qui fait qu’une rue, un café, un salon, une femme d’à présent ne ressemblent pas, extérieurement, à une femme, à un salon, à un café, à une rue du XVIIIe, ou même du temps de Louis-Philippe. La modernité, c’est encore ce qui, dans les cervelles, a l’empreinte du moment où nous sommes ; c’est une certaine fleur de culture extrême ou de perversion intellectuelle ; un tour d’esprit et de langage fait