Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/72

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quand on juge un roman, même de ceux qui reposent sur l’observation du monde réel, pousser trop loin la superstition de la vraisemblance psychologique. Le vraisemblable en ces matières est peut-être plus large qu’on ne se le figure d’ordinaire. Qui de nous, en y regardant d’un peu près, n’a surpris en soi, ou autour de soi, même chez les personnes qu’il pensait connaître le mieux, des phénomènes qui déroutent, des volontés ou des faiblesses qu’on ne s’explique pas entièrement, des effets dont les causes en partie se dérobent et qui font parler de la fatalité ou des nerfs, deux manières de nommer l’inconnu ? Mais il est peut-être vrai aussi qu’un roman doit être plus logique, plus lié, plus clair que la réalité, et que MM. de Goncourt se sont dispensés plus qu’il n’aurait fallu des règles les mieux fondées de la composition, de tout ce qui, dans une œuvre d’art, produit, pour employer leurs expressions « la tranquillité des lignes » et l’air de « santé courante », donne une impression de grandeur et de beauté, délivre de toute inquiétude l’émotion esthétique et mêle à l’admiration un sentiment de sécurité. On a parfois peur de se tromper en se laissant prendre à leurs chefs-d’œuvre décousus, et le plaisir qu’ils font manque de sérénité.

Non qu’ils ne soient en bien des passages de rares psychologues. Lorsque Romaine, amenée à l’hôpital, reconnaît dans Barnier son ancien amant, est opérée par lui d’un cancer au sein et meurt désespérée et blasphémante, ce qui se passe chez la sœur Philo-