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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/74

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Anatole présentait le curieux phénomène psychologique d’un homme qui n’a pas la possession de son individualité, d’un homme qui n’éprouve pas le besoin d’une vie à part, d’une vie à lui, d’un homme qui a pour goût et pour instinct d’attacher son existence à l’existence des autres par une sorte de parasitisme naturel, etc.

Il avait au suprême point le sens de l’invrai. Une prodigieuse imagination du faux le sauvait de l’expérience, lui gardait l’aveuglement et l’enfance de l’espérance… et ne faisait tomber sur lui que le coup inattendu des malheurs, etc.

Anatole trouvait dans la misère les coudées franches de sa nature, la libre expansion, l’occasion de développement de goûts inavoués qui portaient ses familiarités vers les inférieurs[1]…, etc.

Anatole est une des plus divertissantes figures de MM. de Goncourt, et des plus vraies. Mais combien d’autres, originales aussi et vivantes ! Dans Charles Demailly, la rédaction du Scandale, surtout le forban de lettres Nachette ; Giroust le dessinateur, toujours plein de bière et obsédé par le moderne ; et la table du Moulin rouge : Masson, qui est sans doute Théophile Gautier ; Boisroger, qui ressemble à Banville ; Franchemont, qui rappelle Barbey d’Aurevilly. — Dans Manette Salomon, Chassagnol le noctambule, le toqué d’art, avec ses monologues ahurissants ; Garnotelle, le type inoubliable du peintre académicien, de la médiocrité correcte armée de savoir-faire ; la kyrielle variée des amis d’Anatole, depuis M. Alexandre, l’ar-

  1. Manette Salomon, p. 368 et suiv.