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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/90

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livrent le travail préparatoire de leur style, non leur style même, parce que l’impression de l’artiste se fait sentir plus immédiate et plus vive dans l’ébauche intempérante que dans la page définitive, et qu’ils craignent, en châtiant et terminant l’ébauche, d’en amortir l’effet. Leurs tableaux font quelquefois songer à l’envers d’une tapisserie, plus éclatant et moins net que l’endroit, et où les bouts de laine sont trop longs et un peu emmêlés.

L’épithète étant toujours, dans cette manière d’écrire, le mot le plus important, voici des tournures qui mettent l’épithète au premier plan en la transformant en substantif neutre (à la façon des Grecs) : «… Mais c’était le ciel surtout qui donnait à tout une apparence éteinte avec une lumière grise et terne d’éclipse, empoussiérant le mousseux des toits, le fruste des murs…[1] » — «… Des voix fragiles et poignantes attaquant les nerfs avec l’imprévu et l’antinaturel du son[2]. » — « Et il mit une note presque dure dans le bénin de sa parole inlassable et coulante[3]. »

Les mots abstraits surabondent dans cette prose si vivante : ce qui semble contradictoire, mais s’explique avec un très petit effort de réflexion. Le point de vue de MM. de Goncourt étant le plus souvent pictural, s’ils ont à décrire un groupe, ce qu’ils voient tout d’abord, ce sont des couleurs, des poses, des attitudes.

  1. Madame Gervaisais, p. 57.
  2. Ibid., p. 87.
  3. Ibid., p. 203.