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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/134

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nables, de plus aisés à substituer les uns aux autres. Cela est à la fois stupéfiant de richesse et prodigieux d’indigence.

Et puis, je l’ai tant lu jadis, je me suis si bien pénétré de ses habitudes de style, de ses images ordinaires, de son vocabulaire, de son rythme, de ses rimes, de ses manies, que, lisant un nouveau volume de lui, il m’a semblé que je le relisais. Tous ces vers inconnus, je les reconnaissais à mesure. Pour un peu, j’aurais cru que, par un phénomène mystérieux, c’était moi qui les faisais, et que je parodiais l’auteur de l’Âne. Cette illusion vous paraîtra moins gasconne si vous songez que nul poète, en effet, n’a été ni plus souvent, ni plus aisément, ni plus parfaitement parodié. M. Albert Sorel a fait des suites de vers considérables qui pourraient, à la rigueur, être de Victor Hugo, et où, seule, quelque bizarrerie trop forte, ou mieux, quelque faiblesse de rime et quelque essoufflement laissent deviner le jeu sacrilège. Et, d’autre part, je me souviens d’avoir perdu des sommes en pariant, après un peu d’hésitation, que des vers de la Légende, qu’on m’avait cités, étaient de M. Sorel. (Les voici, ces vers ; ils décrivent la salle à manger d’Éviradnus :

  Cette salle à manger de titans est si haute,
  Qu’en égarant, de poutre en poutre, son regard
  Aux étages confus de ce plafond hagard,
  On est presque étonné de n’y pas voir d’étoiles.)