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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/15

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mirer longuement chaque soir, commencer ce travail à dix-huit ans et le continuer toute sa vie… cela suppose une manie de constatation, si je puis dire, un manque de paresse, d’abandon et d’insouciance, un goût de la vie, une énergie de volonté et d’orgueil, qui me dépassent infiniment.

Car, — et c’est la première clarté que ces pages nous donnent sur leur auteur, — le journal de Stendhal n’est pas un épanchement involontaire et nonchalant ; c’est un travail utile. C’est pour lui un moyen de se modifier, de se façonner peu à peu en vue d’un but déterminé. Chaque jour, il note ce qu’il a fait dans telle circonstance et ce qu’il aurait dû faire ou éviter, étant donné les desseins qu’il poursuit et que nous verrons tout à l’heure. Pour lui, s’analyser, c’est agir.

Stendhal appartient, en effet, à une génération robuste, violente, brutale, nullement rêveuse ; nullement pessimiste. Lui-même est un mâle, un sanguin, un homme d’action. Il est, par son libre choix, lieutenant de dragons à dix-huit ans ; il est commissaire des guerres en Allemagne et en Autriche ; il fait, sur sa demande, la campagne de Russie. C’est un soldat, un administrateur et un diplomate, et qui a le goût de ces diverses fonctions. Si, à certains moments, il est triste et découragé jusqu’à songer au suicide (du moins il le dit), c’est par accident et pour des motifs précis : un manque d’argent, un espoir déçu ; mais ce n’est point par l’effet d’une mélancolie générale ;