Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bien ! il ne me choque pas non plus. Le mysticisme magnifique et vague de Spiridion ou de Consuelo, le socialisme un peu incohérent, mais vraiment évangélique, du Péché de Monsieur Antoine ou de Meunier d’Angibaut, la foi au progrès, l’humanitairerie… tout cela plaît chez cette femme excellente, à l’imagination arcadienne, parce que chez elle, encore une fois, tout vient du cœur et en déborde à larges flots. Son romanesque philosophique et socialiste est encore, à le bien prendre, une des formes de sa bonté. Croire à ce point au règne futur de la justice, c’est être bon pour l’univers, c’est pardonner à la réalité d’être présentement fort mêlée.

Si ce romanesque est, pendant quelque temps, tombé en défaveur, c’est que nous sommes de grands misérables. Le rêve nous déplaisait, non point parce qu’il nous faisait sentir plus durement le réel ; il nous exaspérait en tant que rêve. C’était comme une dépravation de nos intelligences. La vue du monde mauvais, nous nous y complaisions par une étrange maladie d’orgueil : nous préférions que le monde fût laid, pour paraître forts en le voyant et en le disant. Il y avait, dans notre entêtement à considérer et à peindre le mal, un refus du mieux, un méchant sentiment qui semblait venir du diable. Nous ne voulions plus embellir la vie par le rêve et l’espoir, tant nous étions fiers de la trouver ignoble, et tant ce pessimisme commode nous absolvait de tout à nos propres yeux.