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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/191

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« née ». M. Taine nous dit qu’en certaines circonstances, par exemple à la mort de quelque vieux compagnon d’armes, il avait des accès de sensibilité et de douleur, — suivis de rapides oublis. Qu’est-ce à dire, sinon qu’il était quelquefois comme nous sommes presque tous ? Bref, c’était un être humain à peu près normal, — sauf par les points et dans les moments où il était anormal et surhumain.

Et c’est ainsi que, par un détour, je donne raison à M. Taine. Il n’avait à tenir compte que de ces moments-là. Il est probable que Napoléon ne donnait pas tous les jours un coup de pied dans le ventre à Volney. Il y a apparence qu’il n’était pas, à tous les instants de sa vie, et dans les proportions énormes qu’on a vues, l’effrayant condottiere échappé de l’Italie du quinzième siècle. Mais il l’était au fond. Or, c’est ce fond intime et permanent que M. Taine a voulu dégager. M. Taine peint les hommes en philosophe plus qu’en historien ou en romancier. Il ne fait pas évoluer son modèle dans l’espace et dans le temps, et il ne tient pas compte de ce qu’il peut avoir de commun avec les autres hommes. Il le décompose ; il saisit et définit ses facultés maîtresses, et élimine le reste. Et assurément, ces facultés n’agissent pas, dans la réalité, d’une façon continue : mais elles sont pourtant le véritable et suprême ressort d’une âme. Les analyses de M. Taine seraient donc justes, si elles restaient inanimées.

Le malheur, c’est que ce philosophe a l’imagination