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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/194

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rait Mais un Napoléon Bonaparte, le ciel nous en préserve !

Et puis, M. Taine est tendre. Ne vous récriez pas. Les quatre millions d’hommes tués, et la somme de douleurs humaines que cela suppose, le découragent d’admirer le grand empereur. Ce qui arrive ici est assez singulier. Ce sont les spiritualistes, les idéalistes, les gens bien pensants et les plus belles âmes du monde qui nous disent : — Napoléon fut un monstre ? Qu’importe, puisqu’il a fait la France glorieuse ! (entendez : puisque nous lui devons de pouvoir dire aux Allemands : « Vous avez été atroces, mais nous l’avons été encore plus il y a quatre-vingts ans, et cela nous console »). — Et c’est M. Taine, le philosophe « matérialiste », celui qui a écrit que le vice et la vertu étaient des produits comme le sucre et le vitriol, c’est lui qui réprouve, de quelque éclat qu’elles soient revêtues, l’injustice et la violence ! C’est lui, l’homme qui considère l’histoire comme un développement nécessaire de faits inévitables et qui a toujours goûté en artiste les manifestations de la force, — c’est lui qui aujourd’hui se fond en pitié ! Nul n’a peint de couleurs plus brillantes le déroulement immoral de l’histoire, — et voilà qu’il souffre, comme une femme compatissante et naïve, de cette immoralité ! Ce contraste d’une philosophie très cruelle et d’un coeur très humain me paraît charmant. Déjà le sang versé par la Révolution l’avait empli d’horreur, jusqu’à troubler, peu s’en faut, sa