Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/318

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  Car tout ce rêve une heure a passé dans ta tête :
  Tu fus la goutte d’eau qui reflète les cieux,
  Et l’univers entier est entré dans tes yeux :
  Et bénis donc Allah, qui t’a pendant cette heure
  Laissé comme un oiseau traverser sa demeure.

Et encore :

  Père, engloutis-moi donc, sois donc bien mon tombeau ;
  Et, si je participe à ta vie éternelle,
  Que ce soit sans penser, tel que la goutte d’eau
  Que la mer porte et berce inconsciente en elle.

Mais ce n’est pas tout : car les idées générales ont ceci de précieux, d’enfanter les sentiments les plus contradictoires. Le bouddhisme, qui nous incline au plus suave nihilisme, mène aussi au stoïcisme moral. C’est qu’il se rencontre avec le darwinisme dans ce principe commun que la force, quelle qu’elle soit, par où l’univers se développe, lui est intérieure et immanente. L’homme d’aujourd’hui est le produit suprême de ce développement ; or, comme l’explique Sully-Prudhomme dans son poème de la Justice, ce long effort d’où nous sommes sortis constitue notre dignité. La conserver et l’accroître et affirmer que nous le devons — l’affirmer par un acte de foi (car vous vous rappelez que tout est vain), c’est là proprement la vertu… Ici il faudrait tout citer. Lisez l’admirable poème intitulé Réminiscence :

  Certains soirs, en errant dans les forêts natales,
  Je ressens dans ma chair les frissons d’autrefois ;