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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/93

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moments (osons dire notre pensée) comme un élève des écoles professionnelles, un officier de santé ou un pharmacien de deuxième classe qui aurait des heures de lyrisme. Il y a une énorme lacune dans son éducation littéraire. La mienne, il est vrai, me rend peut-être plus sensible que de raison à ces insuffisances et à ces ridicules.

C’est amusant, après cela, de le voir faire l’artiste impeccable, le sculpteur de strophes, le monsieur qui se méfie de l’inspiration, — et écrire avec béatitude :

  À nous qui ciselons les mots comme des coupes
  Et qui faisons des vers émus très froidement…
  Ce qu’il nous faut, à nous, c’est, aux lueurs des lampes,
  La science conquise et le sommeil dompté.

Mais cet écrivain si malhabile a pourtant déjà, je ne sais comment, des vers d’une douceur pénétrante, d’une langueur qui n’est qu’à lui et qui vient peut-être de ces trois choses réunies : charme des sons, clarté du sentiment et demi-obscurité des mots. Par exemple, il nous dit qu’il rêve d’une femme inconnue, qui l’aime, qui le comprend, qui pleure avec lui ; et il ajoute :

  Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
  Comme ceux des aimés que la vie exila.

  Son regard est pareil aux regards des statues,
  Et pour sa voix lointaine, et calme, et grave, elle a
  L’inflexion des voix chères qui se sont tues.