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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér5, 1898.djvu/44

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provinciale sans fortune ; car il a le cœur trop haut pour trafiquer de son nom et faire un mariage d’argent, et, d’autre part, il est de ceux qui ne peuvent résister à la solitude et qui ont besoin d’un foyer. Toinette (c’est le nom de la jeune femme) est fort jolie, très ignorante, assez bonne, et elle aime son mari. Au sortir de sa vie provinciale, elle a de cruelles déceptions, dont elle ne sait pas prendre son parti. La vie du jeune ménage est plus que serrée : ils ont à peine trois mille francs pour vivre. C’est la misère en habit noir et en robe de dame. Ils sont obligés, pour restreindre leurs dépenses, de déménager deux fois et de prendre des appartements de plus en plus modestes et, finalement, d’émigrer à la campagne, dans les bois de Sèvres. Ils ont deux enfants. Les premières couches de la petite femme ont été laborieuses ; elle n’a pas eu de lait, et il a fallu une nourrice… Toinette souffre de mille petites privations, sans compter la blessure de son amour-propre. Un moment elle est obligée de se passer de bonne et de faire le ménage ; son humeur s’aigrit. André, lui, souffre de sa vie inutile et morne de gratte-papier ; il souffre de voir que sa mère et sa femme ne s’aiment point ; il souffre de sa pauvreté croissante et de sa continuelle inquiétude du lendemain… Vous ne sauriez croire avec quelle poignante vérité de détails sont notés le progrès et l’entrelacement de toutes ces humbles douleurs.

Et pourtant, en dépit des découragements passa-