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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/119

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tristesse que m’ont apportés ces évocations. Tantôt, on se souvient avec complaisance, et l’on substitue, à ce qu’on a senti ou pensé, ce qu’on aimerait avoir pensé ou senti ; on se voit invinciblement en plus beau : et c’est le cas ordinaire. Tantôt, par une affectation de sincérité, où il y a de la bravade, et qui est donc encore une forme de l’orgueil, on se prête des postures et des pensées plus humiliantes et plus désobligeantes encore que celles qu’on eut en réalité : et c’est souvent le cas de Jean-Jacques Rousseau.

Bref, tout acte de la mémoire altère son objet. En dehors des dates et de certaines apparences extérieures, nulle certitude sur le passé. Personne n’est seulement capable d’écrire avec vérité sa propre histoire. Il arrive même que, de très bonne foi, nous donnions successivement, du même événement de notre vie, des versions différentes. Irons-nous, après cela, chicaner Lamartine sur la chronologie de ses œuvres ou sur celle de ses sentiments ? La plupart de ses erreurs consistent, en somme, à antidater les manifestations particulièrement honorables de son génie et de son âme, à se voir déjà semblable, dans le passé, à ce qu’il est dans le présent. Il nous raconte ce qu’il a cru vrai au moment où il le racontait ; mais pouvait-il nous raconter autre chose ?

J’ai oublié de vous parler du mariage de Lamartine. Les circonstances de ce mariage lui font grand honneur, encore que notre légèreté y puisse trouver