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(Et, chose admirable, je n’ai jamais tant parlé de moi que depuis qu’on me le reproche, justement parce que je veux m’en défendre.)

Oui, je songe quelquefois à me corriger. Il me semble que cela ne serait pas très difficile. Je vous assure que je pourrais, comme un autre, juger par principes et non par impressions. On me traite d’esprit ondoyant. Je serais fixe si je le voulais ; je serais capable de juger les œuvres, au lieu d’analyser l’impression que j’en reçois ; je serais capable d’appuyer mes jugements sur des principes généraux d’esthétique ; bref, de faire de la critique peut-être médiocre, mais qui serait bien de la critique…

Seulement alors, je ne serais plus sincère. Je dirais des choses dont je ne serais pas sûr. Au lieu que je suis sûr de mes impressions. Je ne sais, en somme, que me décrire moi-même dans mon contact avec les œuvres qui me sont soumises. Cela peut se faire sans indiscrétion ni fatuité, car il y a une partie de notre « moi », à chacun de nous, qui peut intéresser tout le monde. Ce n’est pas de la critique ? Alors c’est autre chose : je ne tiens pas du tout au nom de ce que je fais.

(4 novembre 1889.)