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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/144

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il serait beaucoup plus juste d’accuser Lamartine de nonchalance que de « virtuosité. »

Pour moi, je l’avoue, j’aime ces nonchalances, pêle-mêle avec le reste. Oui, Lamartine est le seul de nos poètes qui ait presque constamment improvisé, dans le sens presque rigoureux du mot. Quand il nous conte qu’il écrivit en un jour les six cents vers de Novissima Verba, je crois qu’il se vante à peine. Vous savez le jugement de Musset sur Jocelyn (dans la première version de Il ne faut jurer de rien) : « Il y a du génie, du talent et de la facilité ». Cette gentille épigramme se peut tourner en suprême louange. Cela veut dire que Lamartine réalise le mieux l’idée que les anciens hommes se faisaient du poète (enthéios, kouphone ti kaï ptéréone, etc…). Lui-même a déclaré avec insistance qu’il n’a jamais fait de vers que pour soulager son cœur, et que faire des vers n’est pas un métier. Et je sais bien tout ce qu’on peut dire là contre ; mettons que le cas de Lamartine est et restera probablement unique dans la poésie moderne. Toujours est-il que, Lamartine ayant eu par bonheur « du génie », sa « facilité » est un charme à quoi rien ne ressemble. Non, rien peut-être n’égale l’ivresse sereine de cet essor sans heurt et sans arrêt, comme en plein éther. On glisse d’un mouvement que sa continuité même accroît ; on n’a pas, comme chez Victor Hugo, des soubresauts sur de certaines saillies et arêtes de l’expression, et l’on ne se cogne pas aux numéros