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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/156

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L’exemple caractéristique qu’il me fallait, le voici. C’est dans une pièce adressée à Mme Victor Hugo « en souvenir de ses noces » (Recueillements poétiques).

  La nature servait cette amoureuse agape ;
  Tout était miel et lait, fleurs, feuillages et fruits.
  Et l’anneau nuptial s’échangeait sur la nappe, Premier chaînon doré de la chaîne des nuits.

Ceci, je m’en aperçois maintenant, est une « comparaison » proprement dite, plutôt qu’une « métaphore », mais peu importe pour ma démonstration. Remarquez-vous comme les deux termes de la comparaison sont intimement liés ; comme ils se pénètrent l’un l’autre ; comme le premier demeure présent dans le second ; comme le mot « nuits » vient rappeler, dans le dernier vers, le mot « nuptial » du vers précédent ; comme cette expression adorable est un peu fuyante et vague : « chaîne des nuits », corrige ce qu’il y aurait de trop précis et de puéril dans la vision d’une chaîne formée d’anneaux de mariage, et sauve ainsi le poète de tout gongorisme ; comme l’idée de la ressemblance matérielle de l’anneau d’une chaîne avec une bague est seulement suggérée et s’évanouit aussitôt ; comme on passe mollement de l’image de la bague à l’image de la chaîne et de celle-ci à l’idée de la « succession » indéfinie des nuits amoureuses, et comme tout cela est fondu, fluide, indéterminé dans les mots, et quelle grâce