Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/98

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déjà avant elle le cœur des hommes. D’un autre côté, une morale rationaliste, non assise sur des dogmes, non défendue par des terreurs et des espérances précises d’outre-tombe, fondée sur le sentiment de l’utilité commune, sur l’instinct social, sur l’égoïsme de l’espèce qui est altruisme chez l’individu et s’y épure et s’y élargit en charité, enfin sur ce que j’appellerai la tradition de la vertu simplement humaine à travers les âges, une telle morale ne peut que très lentement établir son règne dans les multitudes : il lui faut du temps, beaucoup de temps, pour revêtir aux yeux de tous les hommes un caractère impératif. Oui, M. Duruy eût dit : « Attendons ! » Et il lui eût été fort égal d’être taxé d’optimisme, c’est-à-dire, au jugement de quelques-uns, d’ingénuité. Un certain optimisme n’est qu’une forme ou une condition même du courage et de l’activité. Le pessimisme est excellent pour soi, pour la vie et le perfectionnement intérieurs, — à moins qu’au contraire (cela s’est vu) il ne devienne une excuse à la corruption et à la lâcheté. Mais agir pour les autres, durant de longues années, durant toute une vie, cela ne se conçoit guère sans un peu de confiance en la future victoire de la raison. Il faut bien alors affronter la honte d’être optimiste. J’avoue que, pareil en cela aux hommes du siècle dernier, M. Victor Duruy l’a affrontée largement.

J’ai dit qu’il s’appuyait uniquement sur l’estime