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risus rerum

Oui, je le sais : mais, chose singulière,
Je ne sais pas la couleur de ses yeux.

Seraient-ils bleus ? Ils me font des caresses
Et des discours que mon cœur seul entend :
Propos muets, tout chargés de tendresses,
Dont la candeur s’en va sollicitant
L’aveu d’amour sur ma lèvre hésitant.
Seraient-ils noirs ? De sinistre manière,
Déconcertant espoir, rêve et prière,
Parfois un sombre éclair silencieux
A traversé leur douceur coutumière.
Je ne sais pas la couleur de ses yeux.

Seraient-ils verts ? Ses prunelles traîtresses
Ont un éclat tranquille et persistant :
Leur splendeur froide et leurs froides paresses
M’ont rappelé le calme inquiétant
Des yeux d’un chat songeant et méditant.
Seraient-ils d’or ? Métallique et légère,
J’y vois flamber une ardente poussière,
Un tourbillon d’atomes précieux.
— Sont-ils noirs, bleus, verts ou jaunes ? — Mystère :
Je ne sais pas la couleur de ses yeux.