Page:Lemaître - Poésies, 1896.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

247
la vengeance de polyphème


II


Joie et clartés ! C’était un matin de printemps ;
Un vent lourd de parfums berçait les bois flottants
Et soufflait dans les nids une douce démence.
Épanouie ainsi qu’une corbeille immense,
La Sicile, embaumée et joyeuse au réveil,
Riait sous les baisers lumineux du soleil.
Mais, seul, le noir Cyclope à l’âme endolorie
Errait, d’un pied pesant, dans la forêt fleurie
Qui largement ondule aux flancs du mont Etna.
Le colosse pensif, qu’Éros époinçonna,
Tandis qu’autour de lui tout chante et tout verdoie,
Reste sombre, et maudit l’universelle joie.

Il allait au hasard, lent et désespéré,
Quand, derrière la verte épaisseur d’un fourré,
Parmi des gazouillis d’oiseaux, il crut entendre
Des mots d’amour rythmés d’une voix molle et tendre
Que des baisers sans fin arrêtaient dans leur vol
Et que couvrait là-haut l’hymne du rossignol.
D’une main anxieuse il écarta les branches