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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

            De l’instrument de son supplice
            Nos rameaux fourniront le bois.

            En mémoire de ces prodiges,
            Des hommes inclinant leurs fronts
            Viendront adorer nos vestiges,
            Coller leurs lèvres à nos troncs ;
            Les saints, les poètes, les sages,
            Écouteront dans nos feuillages
            Des bruits pareils aux grandes eaux,
            Et sous nos ombres prophétiques
            Formeront leurs plus beaux cantiques
            Des murmures de nos rameaux.

Glissez, comme une main sur la harpe qui vibre
Glisse de corde en corde, arrachant à la fois
À chaque corde une âme, à chaque âme une voix ;
Glissez, brises des nuits, et que de chaque fibre
Un saint tressaillement jaillisse sous vos doigts !
Que vos ailes frôlant les cintres de nos voûtes,
Que des larmes du ciel les résonnantes gouttes,
Que les gazouillements du bulbul dans son nid,
Que les balancements de la mer dans son lit,
            L’eau qui filtre, l’herbe qui plie,
            La sève qui découle en pluie,
            La brute qui hurle ou qui crie,
            Tous ces bruits de force et de vie
            Que le silence multiplie,
Et ce bruissement du monde végétal
Qui palpite à nos pieds du brin d’herbe au métal,
            Que ces voix, qu’un grand chœur rassemble
            Dans cet air où notre ombre tremble,
            S’élèvent et chantent ensemble
Celui qui les a faits, celui qui les entend,