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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Âmes souffrantes d’où la vie
Fuit comme d’un vase fêlé,
Et qui ne gardent que la lie
Du calice de l’exilé,

Nous, absents de l’adieu suprême,
Nous qu’il plaignit et qu’il a fui,
Quelle immense part de nous-même
Est ensevelie avec lui !

Combien de nos plus belles heures,
De tendres serrements de mains,
De rencontres sous nos demeures,
De pas perdus sur les chemins !

Combien de muettes pensées
Que nous échangions d’un regard,
D’âmes dans les âmes versées,
De recueillements à l’écart !

Que de rêves, éclos en foule
De ce que l’âge a de plus beau,
Le pied du passant qui le foule
Presse avec lui sur son tombeau !

Ainsi nous mourons feuille à feuille,
Nos rameaux jonchent le sentier ;
Et quand vient la main qui nous cueille,
Qui de nous survit tout entier ?

Ces contemporains de nos âmes,
Ces mains qu’enchaînait notre main,
Ces frères, ces amis, ces femmes,
Nous abandonnent en chemin.