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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Quel jour ai-je vendu ma part de l’héritage,
           Ésaü de la liberté ?

Va ! n’attends pas de moi que je la sacrifie
Ni devant les dédains, ni devant le trépas.
Ton Dieu n’est pas le mien, et je m’en glorifie :
J’en adore un plus haut, que tu ne comprends pas !
La liberté que j’aime est née avec notre âme,
Le jour où le plus juste a bravé le plus fort,
Le jour où Jéhova dit au fils de la femme :
            « Choisis, des fers ou de la mort ! »

Que ces tyrans divers dont la vertu se joue,
Selon l’heure et les lieux, s’appellent peuple ou roi,
Déshonorent la pourpre ou salissent la boue,
La honte qui les flatte est la même pour moi.
Qu’importe sous quels pieds se courbe un front d’esclave,
Le joug d’or ou de fer n’en est pas moins honteux ?
Des rois, tu l’affrontas ; des tribuns, je le brave !
            Qui fut plus libre de nous deux ?

Fais-nous ton Dieu plus beau si tu veux qu’on l’adore ;
Ouvre un plus large seuil à ses cultes divers ;
Chasse de son parvis, que leur pied déshonore,
La Vengeance et la Mort, gardiennes des Enfers ;
Écarte ces faux dieux de l’autel populaire,
Pour que le suppliant n’y soit pas insulté ;
Sois la lyre vivante, et non pas le Cerbère
            Du temple de la Liberté !

Un jour de nobles pleurs laveront ce délire,
Et ta main étouffant le son qu’elle a tiré,
Plus juste arrachera des cordes de ta lyre
La corde injurieuse où la haine a vibré !