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VICTOR HUGO.

 
À l’aube du matin, un peu de cendre éteinte
D’un pied large et fourchu portait l’étrange empreinte.
Le val fut tout le jour désert, silencieux.
Mais au lieu du foyer, à minuit même, un pâtre
Vit soudain apparaître une flamme bleuâtre
            Qui ne montait pas vers les cieux.

Dès qu’au sol attachée elle rampa livide,
De longs rires, soudain éclatant dans le vide,
Glacèrent le berger d’un grand effroi saisi.
Il ne vit point Satan et ceux de l’autre monde,
Et ne put concevoir, dans sa terreur profonde,
            Ce qu’ils souffraient pour rire ainsi !

Dès lors, toutes les nuits, aux monts, aux bois antiques,
L’ardent foyer jeta des clartés fantastiques ;
Des rires effrayaient les hiboux des manoirs ;
Et les chauves-souris, que tout sabbat réclame,
Volaient, et par moment épouvantaient la flamme
            De leur grande aile aux ongles noirs.

Rien, avant le rayon de l’aube matinale,
Enfants, rien n’éteignait cette flamme infernale.
Si l’orage, à grands flots tombant, grondait dans l’air,
Les rires éclataient aussi haut que la foudre,
La flamme en tournoyant s’élançait de la poudre,
            Comme pour s’unir à l’éclair !

Mais enfin, une nuit, vêtu du scapulaire,
Se leva du vieux saint le marbre séculaire ;
Il fit trois pas, armé de son rameau bénit ;
De l’effrayant prodige effrayant exorciste,
De ses lèvres de pierre il dit : « Que Dieu m’assiste ! »
            En ouvrant ses bras de granit !