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PÉTRUS BOREL.

Dans ma poitrine sombre, ainsi qu’en un champ clos,
Trois braves cavaliers se heurtent sans relâche,
Et ces trois cavaliers, à mon être incarnés,
Se disputent mon être, et sous leurs coups de hache
Ma nature gémit ; mais, sur ces acharnés,
Mes plaintes ont l’effet des trompes, des timbales,
Qui soûlent de leurs sons le plus morne soldat,
Et le jettent joyeux sous la grêle des balles,
Lui versant dans le cœur la rage du combat.

Le premier cavalier est jeune, frais, alerte ;
Il porte élégamment un corselet d’acier,
Scintillant à travers une résille verte
Comme à travers des pins les cristaux d’un glacier ;
Son œil est amoureux ; sa belle tête blonde
A pour coiffure un casque, orné de lambrequins,
Dont le cimier touffu l’enveloppe et l’inonde
Comme fait le lampas autour des palanquins.
Son cheval andalous agite un long panache
Et va caracolant sous ses étriers d’or,
Quand il fait rayonner sa dague et sa rondache
Avec l’agilité d’un vain toréador.

Le second cavalier, ainsi qu’un reliquaire,
Est juché gravement sur le dos d’un mulet,
Qui ferait le bonheur d’un gothique antiquaire ;
Car sur son râble osseux, anguleux chapelet,
Avec soin est jetée une housse fanée,
Housse ayant affublé quelque vieil escabeau,
Ou caparaçonné la blanche haquenée
Sur laquelle arriva de Bavière Isabeau.
Il est gros, gras, poussif ; son aride monture
Sous lui semble craquer et pencher en aval :
Une vraie antithèse, — une caricature