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LECONTE DE LISLE.


De la hauteur des monts, berceaux des races pures,
Au murmure des flots, au bruit des dômes verts,
Il écoute grandir, vierge encor de souillures,
La jeune Humanité sur le jeune Univers.

Bienheureux ! Il croyait la terre impérissable,
Il entendait parler au prochain firmament ;
Il n’avait point taché sa robe irréprochable ;
Dans la beauté du monde il vivait fortement.

L’éclair qui fait aimer et qui nous illumine
Le brûlait sans faiblir un siècle comme un jour ;
Et la foi confiante et la candeur divine
Veillaient au sanctuaire où rayonnait l’amour.

Pourquoi s’est-il lassé des voluptés connues ?
Pourquoi les vains labeurs et l’avenir tenté ?
Les vents ont épaissi là-haut les noires nues ;
Dans une heure d’orage ils ont tout emporté.

Oh ! la tente au désert et sur les monts sublimes,
Les grandes visions sous les cèdres pensifs,
Et la Liberté vierge et ses cris magnanimes,
Et le débordement des transports primitifs !

L’angoisse du désir vainement nous convie :
Au livre originel qui lira désormais ?
L’homme a perdu le sens des paroles de vie :
L’esprit se tait, la lettre est morte pour jamais.

Nul n’écartera plus vers les couchants mystiques
La pourpre suspendue au devant de l’autel,
Et n’entendra passer dans les vents prophétiques
Les premiers entretiens de la Terre et du Ciel.