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LECONTE DE LISLE.


Et les sages, couchés sous les secrets portiques,
Regardent, possédant le calme souhaité,
Les époques d’orage et les temps pacifiques
Rouler d’un cours égal l’homme à l’éternité.

Mais nous, nous, consumés d’une impossible envie,
En proie au mal de croire et d’aimer sans retour,
Répondez, jours nouveaux, nous rendrez-vous la vie ?
Dites, ô jours anciens, nous rendrez-vous l’amour ?

Où sont nos lyres d’or, d’hyacinthe fleuries,
Et l’hymne aux Dieux heureux et les vierges en chœur,
Éleusis et Délos, les jeunes Théories,
Et les poèmes saints qui jaillissaient du cœur ?

Où sont les Dieux promis, les formes idéales,
Les grands cultes de pourpre et de gloire vêtus,
Et dans les cieux ouvrant ses ailes triomphales
La blanche ascension des sereines Vertus ?

Les Muses, à pas lents, mendiantes divines,
S’en vont par les cités en proie au rire amer.
Ah ! c’est assez saigner sous le bandeau d’épines,
Et pousser un sanglot sans fin comme la mer.

Oui ! le mal éternel est dans sa plénitude !
L’air du siècle est mauvais aux esprits ulcérés.
Salut, oubli du monde et de la multitude !
Reprends-nous, ô Nature, entre tes bras sacrés !

Dans ta khlamyde d’or, Aube mystérieuse,
Éveille un chant d’amour au fond des bois épais !
Déroule encor, Soleil, ta robe glorieuse !
Montagne, ouvre ton sein plein d’arôme et de paix !