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LECONTE DE LISLE.


Un grondement immense enveloppait la côte.
Sur les flots palpitaient, blêmes, de toutes parts,
Les âmes des noyés qui moururent en faute.

Et la grêle tintait contre les noirs remparts,
Et le vent secouait la herse aux lourdes chaînes
Et tordait les grands houx sur les talus épars.

Dans les fourrés craquaient les rameaux morts des chênes,
Tandis que par instants un maigre carnassier
Hurlait lugubrement sur les dunes prochaines.

Or, au feu d’une torche en un flambeau grossier,
Le Jarle, dans sa tour vieille que la mer ronge,
Marchait, les bras croisés sur sa cotte d’acier.

Muet, sourd au fracas qui roule et se prolonge,
Comprimant de ses poings la rage de son cœur,
Le Jarle s’agitait comme en un mauvais songe.

C’était un haut vieillard, sombre et plein de vigueur.
Sur sa joue aux poils gris, lourde, une larme vive
De l’angoisse soufferte accusait la rigueur.

Au fond, contre le mur, tel qu’une ombre pensive,
Un grand Christ. Une cloche auprès. Sur un bloc bas
Une épée au pommeau de fer, nue et massive.

— Ce moine, dit Komor, n’en finira-t-il pas ? —
Il ploya, ce disant, les genoux sur la dalle,
Devant le crucifix de chêne, et pria bas.

On entendit sonner le bruit d’une sandale :
Un homme à robe brune écarta lentement
L’épais rideau de cuir qui fermait cette salle.