Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/293

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Non, tu tiens les trésors de nos chères pensées !
Les fleurs que nos pieds lourds émiettent en débris,
Tu les as pour nos cœurs chacune ramassées,
Tu nous rends le parfum des jours évanouis !

Les perdus, les absents, les morts que fait la vie,
Ces fantômes d’un jour si longuement pleures,
Reparaissent en rêve avec leur voix amie,
Le piège étincelant des regards adorés.

Les amours prisonniers prennent tous leur volée,
La nuit tient la revanche éclatante du jour :
L’aveu brûle la lèvre un moment descellée ;
Après le dur réel, l’idéal a son tour.

Ô vie en plein azur que le sommeil ramène,
Paradis où le cœur donne ses rendez-vous,
N’es-tu pas à ton heure une autre vie humaine,
Aussi vraie, aussi sûre, aussi palpable en nous,

Une vie invisible aussi pleine et vibrante
Que la visible vie où s’étouffent nos jours,
Cette vie incomplète, inassouvie, errante,
S’ouvrant sur l’infini, nous décevant toujours ?

Ton magique pinceau trace des paysages
Où les yeux éperdus s’élancent à plein vol ;
Ce sont des monts neigeux, d’admirables rivages,
Ou d’immenses déserts sans ombre sur le sol !

Oh ! quel parcours superbe à travers l’Atlantique !
Quelque navire ailé fuit sur la grande mer :
La vague est large et bleue et le ciel magnifique ;
On est des passagers dans son rêve… on fend l’air !