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GEORGES LAFENESTRE.


Sur ce roc Galilée écoutait, vieux et morne,
Comme des chars au cirque emportés vers la borne
Les astres haletants craquer sur leurs essieux ;
Ces durs cyprès l’ont vu, fier de sa solitude,
À sa bêche de fer appuyant son pied rude,
Ouvrir d’un long regard le long voile des cieux.

Des lauriers étaient là, non moins verts et tranquilles,
Quand le Dante à leurs pieds, las des clameurs serviles,
S’agenouillait devant son Dieu, son seul recours,
Et, tourné tout entier vers l’ingrate Florence,
Sous son crâne d’airain refoulait en silence
Un orage grondant de haines et d’amours.

Ici rêva Pétrarque, et Virgile, peut-être,
Virgile en ce ravin s’assoupit sous un hêtre
Aux tintements épars des chevreaux bondissants.
Avant eux, après eux, des hommes que j’ignore,
Qui n’ont pas au temps sourd jeté de nom sonore,
En foule ont piétiné ces routes en tous sens.

Ah ! qui que vous soyez, vieux bergers, belles femmes,
Poètes saints, vous tous qui portiez mêmes âmes
Sous la mobilité des langages divers,
Romains vêtus de cuir, Toscans traînant la soie,
Tous, un élan vous prit de grande et saine joie
Quand l’éternel soleil rouvrit les bourgeons verts !

Comme à moi ce ciel frais vous fit dresser la tête,
L’alouette lança dans votre oreille en fête
Ce trille de cristal qui tinte encor dans l’air,
Et vos douleurs fuyaient déjà comme les miennes,
Vers la mer calme, avec le rire des fontaines
Qui baisent, en courant, leurs roseaux nés d’hier.