Aller au contenu

Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Maintenant, dans le sable aride de nos grèves,
             Sous les chiendents, au bruit des mers,
Tu reposes parmi les morts qui me sont chers,
             Ô charme de mes premiers rêves !


(Poèmes barbares)


______



LE SOMMEIL DU CONDOR




Par delà l’escalier des roides Cordillères,
Par delà les brouillards hantés des aigles noirs,
Plus haut que les sommets creusés en entonnoirs
Où bout le flux sanglant des laves familières,
L’envergure pendante et rouge par endroits,
Le vaste oiseau, tout plein d’une morne indolence,
Regarde l’Amérique et l’espace en silence,
Et le sombre soleil qui meurt dans ses yeux froids.
La nuit roule de l’Est, où les pampas sauvages
Sous les monts étagés s’élargissent sans fin ;
Elle endort le Chili, les villes, les rivages,
Et la mer Pacifique et l’horizon divin ;
Du continent muet elle s’est emparée :
Des sables aux coteaux, des gorges aux versants,
De cime en cime, elle enfle, en tourbillons croissants,
Le lourd débordement de sa haute marée.
Lui, comme un spectre, seul, au front du pic altier,
Baigné d’une lueur qui saigne sur la neige,
Il attend cette mer sinistre qui l’assiège :
Elle arrive, déferle, et le couvre en entier.
Dans l’abîme sans fond la Croix australe allume
Sur les côtes du ciel son phare constellé.
Il râle de plaisir, il agite sa plume,