Aller au contenu

Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
LÉON DIERX.


Où demain viendront boire et chanter les ramiers,
Et leur cime s’emmêle en d’immenses cimiers.
Des frères sont tombés dans un adieu sonore,
Cadavres hérissés sur la lisière encore ;
Mais dans l’armée au cœur indomptable, beaucoup
Sont morts depuis longtemps qui sont restés debout.
Ils sont tels, ces captifs rigides, que l’outrage
Éternel les retrouve augustes dans notre âge,
Et tel est leur silence aux approches des nuits,
Que la vie en a peur et fait taire ses bruits ;
Et que le fils errant des époques dernières,
L’homme, ainsi que la bête au fond de ses tanières,
Se retire à la hâte, écrasé sous le poids
Des lourds mépris qu’il sent tomber dans l’air des bois
Sur tous les vains espoirs où son désir s’enivre.
Et le rouge soleil saigne à travers le givre
Dans l’enchevêtrement des ténébreux lutteurs ;
Puis tout s’éteint ; la nuit aux démons insulteurs
Monte multipliant l’épaisse multitude ;
Et de leur propre horreur sacrant leur solitude,
Eux, les arbres, debout, garderont sous les vents
L’obscur secret du rêve où sont nés les vivants.

(Les Amants)