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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

derrière soi, il est à la minute présente, il précipite ses regards sur tout ce qui l’entoure, il est ivre de tout le capiteux de littérature et de vie qui passe dans les rues de Paris où il loge, où il disserte, où il court, passionné, un peu effaré, hésitant à choisir, cherchant la sensation plus que le renseignement. Il ne peut pas avoir encore le profond attendrissement éprouvé au milieu de la vie pour la maison où l’on est né, pour le faubourg et le jardin où l’on a pour la première fois respiré l’existence, pour la route et le fleuve sur lesquels on faisait partir, brides abattues ou toutes voiles dehors, ses pensées de quinze ans, pour le grand ciel intime et inconnu qui a couvé tous les espoirs et agrandi toutes les inquiétudes.

Dans ces vers écrits à Paris, ou dans l’attente de Paris, rue de Tournon ou au collège d’Alais, on trouvera donc une sincérité datée, un fragment irrécusable de la biographie d’une âme, un premier parfum de bonne littérature. Le débutant qui écrit les Amoureuses, et bientôt après, La Double Conversion, a lu en artiste les poètes du XVIe siècle, a compris du premier coup le joli français résumatoire de La Fontaine, a aimé l’accent nerveux et passionné de Musset. Les pièces sur les enfants font songer aux « enfantelets » qui sourient dans notre littérature depuis Clotilde de Surville jusqu’à Baïf. L’histoire du jeune chrétien et de la petite juive a l’allure de malice et de naïveté des écrits du fabuliste, les jours où il laisse les fables pour les contes. Alfred de Musset n’est pas seulement expliqué dans une belle et curieuse pièce datée du 1er mai 1857, mais même un peu de son humeur apparaît dans Fanfaronnade, À Célimène, À Clairette.Tout cela témoignant de préoccupations de la forme et de lectures habituelles, mais tout cela augmenté de naissantes impressions, de flammes subites, d’éloquence inattendue. Les Bottines, Miserere de l’Amour, Le Rouge-Gorge, Trois jours de Vendanges, Les Cerisiers, Les Prunes, Dernière amoureuse, tous ces sourires de dessins si divers, tous ces cris où il y a du roucoulement et de la violence, évoquent une physionomie personnelle d’écrivain curieux des sentiments, épris de la musique des mots, habile à faire tenir une longue et complète vision dans une phrase brève, sensuel dont la raillerie conflue sans cesse à l’émotion. Cette physionomie s’accentue encore dans l’apostrophe sereine qui termine la Double Conversion, et dans cet Oiseau bleu qui restera, à n’en pas