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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Ses regards font mourir les enfants. Elle passe
Et se laisse survivre en ce qu’elle détruit.
C’est la femme qu’on aime à cause de la Nuit,
Et ceux qui l’ont connue en parlent à voix basse.

Le danger la revêt d’un rayon familier :
Même dans son étreinte oublieusement tendre
Ses crimes, évoqués, sont tels, qu’on croit entendre
Des crosses de fusils tombant sur le palier.

Cependant, sous la honte illustre qui l’enchaîne,
Sous le deuil où se plaît cette âme sans essor,
Repose une candeur inviolée encor
Comme un lis enfermé dans un coffret d’ébène.

Elle prêta l’oreille au tumulte des mers,
Inclina son beau front touché par les années,
Et, se remémorant ses mornes destinées,
Elle se répandit en ces termes amers :

« Autrefois, autrefois, — quand je faisais partie
« Des vivants, — leurs amours, sous les pâles flambeaux
« Des nuits, comme la mer au pied de ces tombeaux,
« Se lamentaient, houleux, devant mon apathie.

« J’ai vu de longs adieux sur mes mains se briser :
« Mortelle, j’accueillais, sans désir et sans haine,
« Les aveux suppliants de ces âmes en peine :
« Le sépulcre à la mer ne rend pas son baiser.

« Je suis donc insensible et faite de silence,
« Et je n’ai pas vécu ; mes jours sont froids et vains :
« Les Cieux m’ont refusé les battements divins !
« On a faussé pour moi les poids de la balance.