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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Il montra sous les deux le genre humain soumis
Aux attaques d’un nombre effrayant d’ennemis.
Il dit l’orgueil de la haine, il dit l’envie,
Qui comme un triple ulcère empoisonnent la vie.
Il dit l’ambition, éperon des héros,
Qui transforme souvent les princes en bourreaux,
(ait retourner contre eux leur propre épée.
Il dit la passion, à jouir occupée,
Buvant sans le savoir son propre châtiment.
Il dit les visions qui viennent en dormant,
Grands tableaux qu’aux mortels Dieu dessine dans l’ombre.
Il montra l’homme faible, irraisonnable et sombre,
Jeté dans l’infini comme une graine au vent,
Vivant lorsqu’il est mort, mort lorsqu’il est vivant,
N’étant sage qu’à peine en entrant dans la tombe,
Et ne sachant pas s’il y monte où s’il y tombe.
Puis il fit voir, tragique, une effroyable main
Comme un troupeau dompté menant le genre humain,
Et s’abattant sur lui, gigantesque tenaille.
Où cette main enjoint d’aller il faut qu’on aille.
Cette main est sinistre : elle a des doigts de fer.
Descend-elle du ciel ? sort-elle de l’enfer ?
On ne le sait. Un dieu, père ou fils des ténèbres,
Impose à l’homme abject ces étapes funèbres,
Et qu’il s’appelle Zeus ou se nomme Apollon,
Ce dieu peut écraser l’homme sous son talon.
Sous cette horrible main, l’homme, bétail aveugle,
S’épuise en cris profonds, comme un taureau qui beugle.
Sur la terre de Zeus, noire sous le ciel noir,
L’homme fuit dans le vent âpre du désespoir,
Et toujours, ignorant d’être attendrie et douce,
Il sent dans son dos froid cette main qui le pousse.
Oh ! cette main ! toujours, hier, aujourd’hui, demain,
Au-dessus de son front voir s’ouvrir cette main !