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VICTOR HUGO.

Tout le jour il erra le long de la ravine,
Admirant tour à tour le ciel, face divine,
                    Le lac, divin miroir !

Hélas ! se rappelant ses douces aventures,
Regardant, sans entrer, par dessus les clôtures,
                    Ainsi qu’un paria,
Il erra tout le jour. Vers l’heure où la nuit tombe,
Il se sentit le cœur triste comme une tombe ;
                    Alors il s’écria :

« Ô douleur ! j’ai voulu, moi, dont l’âme est troublée,
Savoir si l’urne encor conservait la liqueur,
Et voir ce qu’avait fait cette heureuse vallée
De tout ce que j’avais laissé là de mon cœur !

« Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !
Nature au front serein, comme vous oubliez !
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés !

« Nos chambres de feuillage en halliers sont changées ;
L’arbre où fut notre chiffre est mort, ou renversé ;
Nos roses dans l’enclos ont été ravagées
Par les petits enfants qui sautent le fossé !

« Un mur clôt la fontaine où, par l’heure échauffée,
Folâtre elle buvait en descendant des bois ;
Elle prenait de l’eau dans sa main, douce fée,
Et laissait retomber des perles de ses doigts !

« On a pavé la route âpre et mal aplanie,
Où, dans le sable pur se dessinant si bien
Et de sa petitesse étalant l’ironie,
Son pied charmant semblait rire à côté du mien !