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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Nuits calmes où l’extase est naturelle à l’âme,
Claires Nuits qui semblez, un vaste épithalame,
Nuits pleines de silence et de recueillement ;

Je vous aime, et mon cœur en vos clartés se noie ;
Mais, quand s’épanouit le cantique de joie,
Mon cœur songe au bonheur qui trop tôt dut finir,
Et ni ces astres purs, ni cette lune blonde
Qui mouille ses cheveux au bleu cristal de l’onde,
Ne m’ont pu consoler du divin souvenir.

Les parfums du jasmin, perçant la feuille verte,
Arrivent jusqu’à moi par la fenêtre ouverte ;
Les premiers foins coupés ont des parfums troublants,
Et l’on entend frémir dans la brise incertaine
Le sifflet du bouvier qui chasse à la fontaine
Les troupeaux fatigués de bœufs rouges et blancs.

Du Jura, par instants, souffle une fraîche haleine ;
Le village, au milieu des vergers, dans la plaine,
S’endort, las du travail sous l’accablante ardeur ;
C’est l’heure de la paix, l’heure calme ec divine,
Où le ciel éblouit la terre, où l’on devine
Que sur ces humbles toits veille un œil protecteur.

Hélas ! ni les foins roux sous la lune pâlie,
Ni les jasmins en fleur, ni le rosier qui plie,
N’apporteront l’oubli du mirage enchanté.
Tous les cœurs exilés rêvent la délivrance ;
Créés pour le bonheur, nous vivons d’espérance,
Et l’amour infini veut l’immortalité !

Mais où trouver la paix, ô mon cœur solitaire ?
Sous le ciel radieux est-il un coin de terre
Ou dans l’isolement l’on trouve le bonheur ?