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des cris orgueilleux par les chemins verts où avaient passé les aimables sylvains. Je ne reconnus pas tout de suite l’homme de la race, le tueur cruel et forcené sorti du hallier des âges. Voilà, nous avions été nus devant Dieu, mais notre sang n’avait pas encore jeté son feu âcre. Nous nous égalâmes follement à la loi obscure, au sombre Destin ; et la vie et la mort tinrent au creux de nos mains qui n’avaient encore ni fait le pain, ni bâti le toit, ni remué les berceaux. L’arc-en-ciel, le céleste symbole d’harmonie s’était posé sur notre toit ; il avait marié nos vies à la forêt ; et il n’avait pas pris son point d’appui dans nos cœurs.

Le bois nous remplit donc de son vertige. La stupeur lourde de la mort fut dans nos prunelles. Et nous n’écoutions plus le chant des oiseaux ni le cri amoureux des écureuils, mais nous regardions l’endroit vulnérable de leur petite forme à travers les feuillages mobiles. La beauté de la vie ainsi tout un temps s’éclipsa et maintenant le meurtre était entré dans Éden et riait avec les dents cruelles d’Ève.